P Marchandet

Me. Marchandet / Rossini

Pourriez-vous vous présenter (année dans le métier, création de Rossini,…)

Je suis commissaire-priseur depuis 1991, initiée par mon père lui-même commissaire-priseur. Suite à la réforme de notre métier en 2000 – nous enjoignant à créer des sociétés, quittant de ce fait le statut d’officiers ministériels de la justice – nous avons créé avec plusieurs commissaires-priseuses la salle de vente Rossini.

Nous œuvrons principalement, sur la salle Rossini et sur Drouot, pour les particuliers, dans le cas de successions ou cessions de collections. Nous procédons à 70, voire 80 ventes par an.

Comment se prépare une vente aux enchères pour un Commissaire-priseur ?

Le travail essentiel du commissaire-priseur réside dans la collecte des objets, pour 80% du temps consacré à une vente. Cette collecte a pour but de clairement mettre en valeur les objets destinés à la vente afin d’en faire la meilleure promotion possible et d’assurer une harmonie de contenus. Notre travail d’expert se centre sur la description et la fixation du prix de vente par rapport au marché de l’art.

Mais notre travail ne s’arrête pas là, puisque nous sommes sur un partage de risques avec le vendeur – dans la mesure où nous nous rémunérons uniquement sur les ventes – nous avons à cœur de présenter au mieux les œuvres exposées, de communiquer sur les ventes et d’en faire la promotion.

Que pensez-vous de l’évolution du marché de l’art (nouvelles techniques, nouvelles approches, initiatives,…)

Le Marché de l’art a fortement évolué et les ventes aux enchères y sont pour beaucoup, en particulier au niveau du marché de l’art contemporain. Emmenée par des sociétés Anglo-Saxonnes comme Christie’s ou Sotheby’s, qui réalisent près de 30% de leur chiffre d’affaires sur de l’art contemporain, la France est cependant à la traine. Il faut noter cependant que pour les salles françaises, l’art contemporain s’avère être surtout de l’art moderne, donc des artistes déjà bien établis.

La vente aux enchères en France fait donc évoluer le marché dans ce sens, sans commune mesure avec nos confrères anglophones, puisque nous ne réalisons que 3 ou 4 ventes par an d’art contemporain. C’est quelque chose que nous aimerions améliorer. Il faut noter cependant que les artistes et les galeries semblent réfractaires aux ventes aux enchères en France et c’est sûrement dû à une vieille image du métier qu’il nous faudra changer à force de pédagogie.

En quoi la vente « NeXT-Art-Emotion » vous a semblée différente ?

Il faut distinguer deux choses sur cette vente :

Le contenu tout d’abord : cette vente présentait beaucoup d’œuvres numériques, ce qui confirme la tendance générale de l’art contemporain. On pouvait même retrouver une œuvre imprimée en 3D, ce qui était une première pour moi !

Autre fait très intéressant, il y avait beaucoup de multiples en tirages limités en très petites séries, et ça c’est nouveau ! Il faut comprendre qu’en France, le marché de l’art avait été échaudé avec des histoires de duplication d’œuvres en particulier de Miro et de Dali et avait [le marché] donc recherché l’unicité des pièces lors des ventes aux enchères. Les jeunes collectionneurs n’ont pas la mémoire de ces événements, ce qui permet le renouveau des multiples. Cependant il faut vraiment faire très attention à ne pas retomber dans le piège du grand tirage, car une série de 1 000 exemplaires n’est pas un tirage d’art. Il faut donc que les artistes modernes se tiennent réellement à ce qui fait la valeur de leurs multiples : le nombre très restreint et le respect du nombre de tirages annoncé. C’est la rareté qui fait la valeur d’une œuvre et c’est peut-être l’écueil principal du numérique qui pourrait avoir tendance à confondre tirage d’art et planche à billets. Il faut être très rigoureux et vigilant sur le sujet, sinon le marché de l’art reconnaitra une nouvelle crise.

Qu’avez-vous pensé de cette vente qui constitue la collection d’un musée MoLA ?

C’est du jamais vu me semble-t-il dans le monde de l’art. C’est-à-dire que la collection du musée n’est pas constituée du fait d’un conservateur, collectionneur ou autre, mais bien par la confrontation au marché de l’art réel ! Et cela est quelque chose qui m’a beaucoup séduit. En revanche, cette initiative a été rendue possible grâce au numérique et à la duplication des œuvres, puisque de fait, avant cette initiative, une œuvre vendue à un collectionneur ne pouvait intégrer un musée de par son unicité. Aujourd’hui, le musée n’est plus concurrent aux collectionneurs grâce aux multiples.

Cette avancée est telle que la presse est complétement passée à côté de l’événement. Il faut espérer que les prochaines ventes sauront les intéresser.

Que se passe-t-il après une vente aux enchères ?

Le travail principal réside dans la récupération des fonds, c’est-à-dire récupérer les paiements promis lors de la vente. Il y a 10 ans, 80% des acheteurs étaient dans la salle avec leur carnet de chèque, aujourd’hui 80% des acheteurs sont hors de la salle, grâce aux nouvelles technologies, via internet, le téléphone, promesses d’achat, … et donc il nous appartient de retrouver ces acquéreurs.

Dans le cas de la vente « NeXT-Art-Emotion », nous vendions au profit d’une fondation et il y a donc un travail administratif supplémentaire à effectuer dans le fait de l’émission de bons de défiscalisation. C’est un travail qui est long, tant les règles fiscales sont lourdes.

Nous prévoyons d’autres ventes aux enchères sur le même principe (création de la collection MoLA), peut-on compter sur vous ?

C’est un travail de longue haleine qui réside dans une sélection de qualité. Les artistes doivent être professionnels, pas au sens vivant de leur production artistique, mais bien de créateurs à la maitrise certaine. Cette vente a d’ailleurs été très réussie de ce point de vue, car les chiffres de vente sont très largement supérieurs aux taux habituels (nda : 52% de vente).

Donc oui je suis très intéressée de poursuivre l’aventure car je suis curieuse de voir quel type de collection va émerger par ce procédé très innovant de sélection.

D’une façon générale, quel Art aimeriez-vous particulièrement promouvoir ? Ou quelles sont les initiatives dans l’Art qui vous parlent particulièrement ?

Je pense que le commissaire-priseur doit s’interdire de donner une direction dans ce type de vente. Il est astreint à une vraie neutralité, ce qui lui permet de promouvoir l’Art au sens large et non pas un style en particulier.

Dans ces ventes, il existe toujours des œuvres phares qui émergent de l’ensemble, sans qu’on puisse réellement dire pourquoi. Mais si l’on se focalise sur ces œuvres phares on peut effectivement constituer une collection intéressante.

Il existe un biais cependant. Les artistes ne sont pas toujours au fait des pratiques du marché de l’art et veulent, lors d’une vente aux enchères, pratiquer des prix de galeries et non pas de ventes publiques. Ce faisant les artistes s’interdisent d’entrer dans la collection du MoLA. Je conçois qu’il est difficile pour un artiste de ne pas valoriser son travail par lui-même, mais en ne rentrant pas dans le système, le marché les rejette et c’est vraiment dommage, car il y avait de très belles œuvres qui n’ont pas trouvé preneur à cause de cela.

Il faut savoir qu’un professionnel qui achète une œuvre la valorisera la plupart du temps 3 fois plus chère que le coût d’acquisition lors de la vente aux enchères (Statistique du ministère des finances). Cela peut se justifier par le fait qu’en galerie, le collectionneur choisit la pièce qu’il acquiert, alors qu’en vente aux enchères, c’est l’artiste qui décide des pièces vendues.

Un dernier mot ?

Dans l’absolu, nous sommes ravis de participer à l’évolution de l’art contemporain et de participer à ce genre d’initiatives qui permettent de faire sortir la France de son marché, qui est aujourd’hui encore, très patrimonial.


Maitre Pascale Marchandet, par Thomas Letscher